Ça se complique, dimanche 2 mai
Dire que la journée commence bien est un euphémisme ! J’ai dormi 4h et somnolé 2h. Je range tout sous la pluie. La selle ne cesse de bouger et j’ai un vent de face persistant. Il m’accompagne jusqu’à Groningen, soit pendant 70 km. Si vous pensez que ça fait beaucoup de kilomètres avec du vent de face, dites-vous que ce n’est que le début !
Heureusement, je découvre ensuite un très chouette truc ce jour-là : les dotwatchers. Un dotwatcher, c’est quelqu’un qui suit les riders à l’aide du traqueur. J’ai déjà fait ça sur plusieurs courses, et ça permet d’avoir l’impression de vivre un peu l’aventure. Eh bien, cette fois-ci, les rôles sont inversés : c’est moi qui suis dotwatchée. Ainsi, en haut d’une petite montée et avant un tournant à gauche (ce souvenir-là est très vif dans mon esprit), j’aperçois une voiture garée. Alors que j’en approche, un homme en sort et m’interpelle par mon prénom. Étrange ! Je ne connais personne dans ce coin du pays. On baragouine en anglais et néerlandais et je comprends que c’est un dotwatcher ! Waaw, le mec est sorti de chez lui par ce temps juste pour me voir passer ? Je n’en reviens pas. On papote cinq minutes et ça me remonte le moral en flèche ! Je repars le sourire aux lèvres. J’ai ensuite droit à mon second dotwatcher à l’entrée de Groningue : une dame qui me fixe et m’applaudit en me regardant et en souriant. Merci madame !
Bon, tout cela remonte le moral, mais j’ai toujours mon problème de selle, moi. Et un dimanche, qu’est ce qui est ouvert ? La réponse à cette question m’est apportée par un autre rider de la RATN. Je suis occupée à regarder la selle quand il me dépasse puis s’arrête. Je lui explique mon problème et il me suggère de chercher un fietscafé, car il y a plus de chances que ça soit ouvert un dimanche qu’un magasin. Et il a raison : je trouve le Spaak Café ouvert. Le mécano présent sur place n’est ni plus ni moins qu’un finisher de la Transcontinetal Race … Il va me serrer et règler la selle comme il faut, et m’offre en prime un café et une barre énergétique. Encore un boost au moral. À cela s’ajoute le fait qu’un autre client me dit que jusqu’à Eemshaven, soit 45 km plus loin, j’aurai assurément le vent dans le dos ! Cool. Après un arrêt au Burger King, mon premier repas chaud depuis que j’ai quitté la maison, je suis revigorée et en forme.
J’ai très bien senti le vent dans le dos ! Ce n’est pas difficile, je n’ai pas vu passer les 45 km jusqu’au Google Data Center. Par contre, une fois le virage à gauche opéré, c’est une autre histoire ! Et encore, le vent n’est pas « fort » (dixit le client du café). Il va tout de même déjà à 15-20 km/h… Et il n’y a rien pour se protéger.
Quand j’avais analysé le trajet en amont, j’avais vu que je ne passais seulement à deux kilomètres de l’endroit le plus septentrional du pays. J’avais donc décidé de faire un détour par là. C’était probablement inutile, mais ça m’a fait plaisir et ça m’a donné un objectif concret ce jour-là.
Ce petit détour fait sourire plus tard Henry Arts, un autre rider qui me rattrape un peu avant que je bifurque à droite. Il a dû se dire que je n’étais pas nette de faire ça. Il parle un peu français, donc on ne s’en sort pas trop mal pour communiquer. Par contre, c’est la première fois que je prête attention à nos accents et je constate qu’ on prononce les mêmes mots, mais d’une façon si différente que l’autre ne les comprend pas … C’est rigolo mais ça n’aide pas à la discussion. Il est environ 16h30 et il me dit qu’il veut encore faire 120 km. Là, c’est moi qui le prend pour un taré. Figurez-vous que je vais checker son traqueur vers 20h, il les aura presque parcourus ! Mais, il va abandonner le lendemain.
Je décide de prendre un hôtel pour ce soir-là, car la tente mouillée ne me tente pas du tout. J’en déniche un à Uithuizen et j’y arrive vers 18h. Coup de bol, il y a même un auvent dans la cour pour ranger le vélo et faire sécher la tente. Je ne suis pas la seule à faire ça, il y a deux cyclotouristes dans la même situation que moi. L’hôtelier me raconte que la veille, un rider a insisté pour monter son vélo dans la chambre car il coûte très cher. Bah moi, je suis rassurée par la cour intérieure et l’auvent, donc Jules dort là. Là où je n’aurai pas de chance, c’est de voir que tous les supermarchés sont déjà fermés. Je trouve une pizza et des pâtes qui feront office de repas du soir et de petit-déjeuner. De retour à l’hôtel, j’allume la télé pour voir la météo et là je fais « glups » : on n’annonce pas vraiment des trombes d’eau, mais bien un vent qui va forcir de jour en jour. Ha. Bon bah, il faudra pousser sur les pédales !
Au calme dans la chambre d’hôtel, je commence aussi à me dire que je n’étais pas prête. Mon beau planning a volé en éclat et sera encore plus chamboulé les jours qui suivent. Mais je me sens bien. Je n’ai mal nulle part et le vélo roule. Je décide donc que j’irai au bout, coûte que coûte !
J’ai parcouru 147,64 km en 9h21 ce dimanche-là. Ensuite, je voulais refaire deux journées avec au moins 200 km le lendemain et le jour d’après, mais le vent ne me m’a pas laissé faire.
Activité Strava et fil Twitter du jour.
Fuck the wind !, lundi 3 mai
Je me réveille en forme. Y a pas à dire, mais 7h30 de sommeil dans un lit, ça vous repose. Il pleut déjà, donc je m’équipe directement avec le pantalon k-way et les sur-chaussures. Il pleut pendant 30 km et il y a peu de vent. C’est ennuyant, mais je peux faire avec. L’humeur est bonne et je traverse de jolis paysages. À Zoutkamp, je trouve un Spar et là je me tape un petit déjeuner d’enfer et le reste de pizza n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Hop, trois couques aux raisisn et un café latte dans le gosier ! Il est déjà 8h35 quand je dévore ce second petit déjeuner. J’en profite aussi pour stocker de la nourriture, car il ne va pas y avoir beaucoup de magasins avant un bon bout de temps.
Je traverse ensuite un parc national , le Lauwersmeer, différent du Veluwe : plus vert et plus humide. Le moral est vraiment excellent pendant quasiment toute la matinée. Le paysage change et je commence à voir de grandes étendues vertes avec la mer sur la droite. Je rencontre aussi mes premiers moutons au milieu de la route. On est dans la partie du pays où les chemins traversent leur territoire, donc il y a des barrières à ouvrir ou des grilles à enjamber.
Soyons honnête, là j’en chie. Je mets de la musique, je me concentre dessus et je pédale, je pédale et je pédale. Je finis même par m’appuyer sur les drop bars. Moi, la fille qui n’avait jamais touché un cintre route il y a un mois et demi, je suis sur les drops bars ! Un peu de rage au ventre et la combinaison de la mauvaise chanson qui arrive au mauvais moment me font lâcher quelques larmes. Non, je ne vais pas me faire avoir par le vent ! Je savais que ça allait être compliqué, ça l’est juste beaucoup plus que ce que je pensais. Par contre, je ne savais pas qu’on pouvait autant détester quelque chose, surtout quelque chose qu’on ne peut pas toucher et contre lequel on ne peut rien faire. Mais ça fait partie du jeu. J’avais regardé les statistiques de la météo je savais que ça pouvait arriver.
Je pédale pendant 125 km jusqu’à Harligen avec ce vent de face et ¾ face qui me fait râler. Mais au moins, je suis sur le vélo et j’avance. Arriver à Harligen signifie que je tourne plein sud, donc le vent n’est alors plus complètement de face. Yay ! J’y mange un kibbeling et un milk-shake. Ça fait du bien. Je croise aussi plusieurs riders dont un qui fait du camping sauvage tous les soirs, quelle que soit la météo. Courageux le gars ! Alors que je quitte la ville via une interminable montée, je suis rattrapée par Guy. Il m’explique qu’il est tombé à Bourtange et qu’il vient de passer la matinée à l’hôpital. Il a toujours mal au genou, mais il veut continuer. Il sera forcé à l’abandon 24h après car la douleur est intenable. Il m’apprend que la météo annonce un vent encore plus fort pour demain, alors qu’on a déjà un vent qui bouge à 25km/h…
Je continue encore une cinquantaine de kilomètres avant de jeter l’éponge. Pas de bol, le premier camping que je trouve n’a pas de réception. C’est un gros camping lié à une marina, donc une fois la réception fermée, tu peux toujours rêver pour avoir une place. J’en trouve un autre camping fort éloigné de l’itinéraire officiel, mais il fait l’affaire. Le propriétaire me demande si ma tente tient le coup car « ça va souffler ». Et ça va tellement souffler que vers minuit, je me réfugie dans les sanitaires car j’ai peur que tout s’envole. Heureusement, je ne dort pas si mal que ça entre cette toilette et cette douche, mais je suis beaucoup réveillée en sursaut.
Anecdote comique du soir : alors que je commence à lui parler en néerlandais, le propriétaire me demande, dans un français parfait, si je viens de Wallonie ???? Non, de Bruxelles, et quoi, j’ai un accent si pourri que ça ???
Vu la météo, je me dis que je vais avancer moins vite que prévu. Je planifie alors de faire 150 km au lieu de 200 le lendemain. Je serai loin du compte …
Les chiffres du jour : 177,06 km en 11h01
Activité Strava et fil Twitter du jour.
Le jour le plus brutal de tous, mardi 4 mai
Après une nuit pas reposante du tout, je me mets en route sous la pluie et dans un vent déjà très fort. La météo annonce des rafales de vent jusqu’à 40km/h… Mon trajet tourne, donc heureusement je ne l’ai pas toujours de face. Et quand je l’ai de dos, mazette qu’est-ce que ça file ! À un moment donné, je passe près d’un chantier et il y a du Rubalise qui vole au vent. Allez savoir comment, trente centimètres du ruban arrivent à se coincer dans la cassette du vélo. Ça me prend cinq minutes de chipotage pour l’enlever. Je suis sur des routes sans piste et je commence à croiser des automobilistes, ce qui n’est pas pratique quand on voit les déports que certaines rafales me font faire. J’arrive à Lemmer et, miracle, il y a un Aldi ouvert à 7h30!!! J’y trouve même des biscuits que je n’ai plus mangés depuis des années ! Ok, le paquet de 10 c’est peut-être un peu exagéré, mais qu’est ce que c’est bon ! Par contre, il n’y a pas de couques pour un petit déjeuner donc je me rabats sur 250 gr de brownie et du lait chocolaté.
Je commence à me dire que pour être efficace, il faut loger en hôtel pour faire sécher les vêtements et bien dormir. Le camping était une bonne idée, mais pas pour ma première course en ultra cyclisme.
Moi, pleine de philosophie
À midi, je me rends compte que parcourir les 150 km prévus, c’est beaucoup. J’avance, mais vraiment pas vite et parfois je pousse le vélo tellement ça ne fait pas de différence. Je médite par-dessus mon kibbeling à Urk et je me dis que je vais continuer pendant quatre heures puis voir où j’en suis. Mais après Urk, ça devient vraiment infernal. Je ne tiendrai pas ce temps-là. Je hurle face à ce vent qui me malmène sur la digue interminable ! La musique n’aide pas. Je regarde où se trouve l’hôtel le plus proche : à Lelystad, dans sept kilomètres. Il me faut une bonne heure pour y arriver. Malgré mes super couches de vêtements, j’ai quand même beaucoup pris l’eau et tout a percé. Je me jette sur le chauffage et dans un bain chaud. Je m’endors avec le menu du soir en main et me réveille au milieu de la nuit pour finir tous les biscuits que j’ai, puis je me rendors aussi vite que je me suis réveillée. Au total, je dors 12h30.
Pendant cette journée, j’ai fait 81,29 km en 7h07. Ce était clairement pas assez pour espérer finir dans les temps, mais je ne pouvais pas en faire un de plus.
Activité Strava et fil Twitter du jour.
What perseverance you have! I look forward to the rest of your story.
I’m wraping up the end of the story 🙂