Mercredi 5 mai : un nouveau départ

Après 10h30 de sommeil, je suis requinquée ! Toutes les affaires sont sèches sauf les chaussures qui sont encore un peu humides. Je me permets un départ vers 7h au lieu de 6h. Le soleil est là pour me souhaiter bonne route. Le vent est aussi présent mais moins fort que la veille. Quelques grêlons tombent. C’est bref, quoi qu’intense. Un peu de végétation me donne parfois du répit, mais la majorité des routes me laissent sans protection. Heureusement, le soleil est là. J’ai même fort chaud à certains moments ! Un ravitaillement de qualité à Almere me permet de manger mes premiers croissants depuis le début de l’aventure et de stocker un peu de nourriture pour la suite de la journée.

Après Amsterdam, les routes ne sont guère larges et les voitures n’aiment pas trop serrer à droite. Je crains de finir dans l’eau qui se trouve des deux côtés de la route (je ne suis pas dans le Waterland pour rien, hé !). Je commence à me poser des questions sur mon GPS, car je finis deux fois dans un escalier et une fois sur une écluse très étroite où je dois carrément enlever une fonte pour arriver à passer. Après vérification, le GPS a bien coupé dans la trace pour les deux escaliers, mais pas pour l’écluse. Ce n’est qu’après avoir pris contact avec Sigma que je découvre que même si on lui fournit un trajet à suivre, le Rox 12.0 va le recalculer pour faire au plus court … Au moment où j’écris ces lignes, en mars 2022, Sigma n’a toujours pas prévu de mise à jour pour enlever cet effet malgré les multiples plaintes de pas mal d’utilisateurs. C’est ce qui m’a poussé à acheter un Wahoo.

Heureusement, ce jour-là, je change plusieurs fois de direction et je peux vous dire que quand le vent est dans le dos, je file ! Il m’arrive d’avancer à 30 km/h sans vraiment pédaler. Les changements de direction signifient aussi que les routes ne sont plus d’interminables lignes droites.

Cette journée est aussi marquée par de nouvelles zones de travaux qui me font faire 5-6 km de détours. La première zone n’est pas indiquée correctement et, dans le Waterland, je n’ai pas le choix de la route, mais la seconde est bien signalée donc, globalement, ces zones ne m’ennuient pas trop.

Par contre, nous sommes un jour férié aux Pays-Bas et cela se voit dès que j’approche des villes. Monnickendam et Volendam sont même pénibles à passer tellement il y a des piétons partout. Les villes me fournissent de beaux ravitos, mais les longues files d’attente devant les magasins me poussent à continuer ma route assez souvent.

J’ai droit à deux dotwatcher et je passe la barre des 950 km parcourus, soit la moitié du trajet ! Cela motive.

Je fais un pause à une église quand je vois passer un rider. Je checke le traqueur et je découvre que c’est Kemal. Étrangement, il me rattrape à l’entrée de Medemblik. Je ne me souviens pas de l’avoir dépassé pendant la journée, mais cela a dû arriver s’il est à nouveau derrière moi. Du coup, on reste ensemble une vingtaine de minutes. Il continue ensuite sa route tandis que je me mets en quête d’un logement. J’essuie trois refus avant qu’un propriétaire me dirige vers un lieu qui a des lodges. Je découvre ainsi les « Trekkershutten ». C’est un réseau de logements en dur que l’on peut louer à la nuit et qui offre un confort plus élevé que la tente en camping. C’est plus spartiate qu’une chambre d’hôtel, mais je ne roulerai pas plus longtemps donc je prends ce qu’on me propose. C’est à l’abri de la pluie et chauffé, c’est tout ce dont j’ai besoin.

Mine de rien, j’ai parcouru le double des kilomètres de la veille et ça fait plaisir ! Mais je commence à avoir beaucoup de retard pour finir dans les temps, alors je cogite : d’un côté, je me dis que la façon dont je découvre le pays est déjà une victoire en soi, mais de l’autre côté, mon égo aimerait bien finir dans les temps. En suis-je capable ?

Le soir, je fais une découverte qui me motive à pousser sur les pédales le lendemain : un message sur Facebook d’un certain Emmanuel que je ne connais pas et qui me dit: « Salut Baptistine ! Je viens de découvrir comment avoir accès à tous tes récits de la course sur Twitter, je vais lire ça avec attention! C’est cool que tu partages tout ça, ça me fait revivre plein de souvenirs ! Je te souhaite plein de courage et continue jusqu’au bout! Quel sentiment d’arriver au bout, tu verras . J’en ai presque pleuré tellement j’en ai bavé mais je ne regrette rien, que du contraire. Bref, que tout se passe au mieux pour toi ! » 

Un finisher liégeois s’il vous plait ! Cela me remonte le moral et je me dis que OUI c’est possible de finir dans les temps !

Ajoutons à cela, la découverte de ce thread sur Twitter qui me met les larmes aux yeux et je peux vous dire que la motivation remonte en flèche !

Jeudi 6 mai : je vais manger des kilomètres 

Je ne passe pas une nuit aussi chaude que je l’aurais voulu, mais elle a été meilleure que si j’avais du replanter la tente. Je décide de pousser jusqu’à Rotterdam ! Cela fait quasiment 240 km à parcourir, mais j’ai pris du retard, donc il faut avancer. En plus, je tombe sur un supermarché déjà ouvert à 7h30, alors je stocke de la nourriture pour toute la journée afin de pouvoir m’arrêter quand je veux et ne pas dépendre de magasins. Emmanuel continue à me motiver pour finir dans les temps et j’y crois !

J’arrive à Den Helder en pleine heure de pointe le matin. Pfui, ça fait bizarre autant de bruit et de trafic après tout ce calme. Heureusement, je tourne vite vers le sud et là, c’est le début des dunes mélangées aux forêts de pins. C’est mon coup de cœur du voyage. J’ai adoré ces montagnes russes roulantes, malgré le sable et les klinkers omniprésents. Le vent tourne et est moins fort, donc il ne me gêne quasiment plus. Il fait plein soleil, je fais tomber la veste !

Pas de chance pour moi, à Ijmunden, nous ne pouvons plus prendre le bac car les travaux sont finis. Moi qui adore prendre des bacs, c’est rapé. Je traverse tout juste à temps avant un énoooorme bateau qui allait faire fermer les écluses ! À ce moment-là, je me dis qu’il est temps de regarder où loger à Rotterdam. J’ai déjà fait 125 km et il en reste une centaine. Je calcule une heure d’arrivée théorique pour trouver quelque chose qui ferme tard. Après un échec à une auberge de jeunesse, je découvre un hôtel capsule ouvert 24h / 24. C’est parfait. En route !


« Pas de bol, juste avant La Haye, j’ai une crevaison. »


Je répare et je finis juste à temps pour voir un groooos nuage noir porteur de pluie en train de m’arriver dessus. Mais j’ai un peu de chance : comme il vient vers moi, je sais que je serai mouillée juste le temps de passer en dessous. Il va pleuvoir fort, mais ça ne durera pas plus de 15 minutes. La route est même sèche quand je repars dans les dunes après la traversée de la ville. Là, je n’en reviens pas mes yeux, en croisant une vache des Higlands (qui pour moi est un yak !) .

Après 205 km, me voilà à Hoek van Holland. Plus moyen d’aller tout droit, il faut tourner et commencer la ligne droite vers Rotterdam. Ça devient long. Un arrêt au KFC me remplit l’estomac et je suis prête à finir cette journée interminable. Pas de chance, encore une zone de travaux qui me dévie ! En plus, l’arrivée à Rotterdam est complétement surréaliste ! Malgré l’heure tardive, il y a du monde partout et du trafic dans tous les sens. Ce n’est déjà pas facile de se repérer de jour, mais alors de nuit c’est franchement pénible. Le summun du n’importe quoi est atteint quand deux voitures se rentrent dedans juste à ma gauche. Je soupire de soulagement en arrivant à l’hôtel. Bon, le vélo doit dormir dehors, donc je suis moyennement rassurée, mais la crevaison refuit, donc il a un pneu plat. Dans cet état, il est moins attractif pour les voleurs, mais je le cache quand même parmi les autres.

Petit gag, je tombe sur un « presque bruxellois » à la réception. Il vient d’Overijse, en périphérie de la ville. Là, je reparle français. Ça aussi ça fait bizarre après n’avoir parlé qu’anglais et néerlandais pendant sept jours. Il est minuit passé quand je ferme les yeux, satisfaite de cette journée. Le mental a tenu et le physique commence à rouspéter, mais ça va. J’applique consciencieusement de la crème sur mes genoux matin et soir.

Vendredi 7 mai : la journée de tous les doutes

Vous vous en doutez, la nuit est courte. Au matin, je commence par réparer la crevaison, mais ma petite pompe ne suffit pas à mettre assez de pression et je ne trouve rien en ville pour m’aider. Donc je dois rouler un peu comme ça. J’ai l’impression de mettre une éternité à quitter Rotterdam. Encore une fois, le GPS me dévie de la route imposée, mais je ne le découvre qu’en voyant les commentaires sur Twitter, car mes abonnés s’inquiètent de me voir hors trace. Grrrrr. À Spijkenisse, je fais un détour pour trouver une pompe à pied dans un magasin et let’s go.

C’est le deuxième jour d’affilé où j’ai du mal à me démarrer. Je sens bien « qu’il faut lancer la machine ». Emmanuel me rassure, c’est tout à fait normal. À moi de pédaler doucement pour chauffer tout le corps et le préparer à la journée.

Devoir réserver un hôtel me stresse, car j’ai peur d’arriver trop tard. Je vise 210 km ce jour-là. Je me dis que la campagne n’est guère animée après 18h, donc je peux faire un bivouac sauvage. Après tout, il y a bien un autre participant qui le fait. Dans ma tête, le plan de la journée est approuvé au matin mais après 14h, c’est une autre histoire…

Le vent est de nouveau un peu plus fort et plus souvent de face que de dos, donc je galère de nouveau,et je recommence à cogiter et à douter … Je sais qu’une fois que je vais tourner vers l’est, j’aurai le vent dans le dos. Sur la carte, ça n’a pas l’air si loin que ça, mais il y a quand même 135 km. C’est sur un malheureux passage d’écluse du plan Delta que je craque.

Je craque, car je pensais être capable d’arriver à l’heure dimanche et je réalise que ce n’est pas le cas. Quand j’étais dans la tempête, ça me paraissait logique. Mais hier, je me suis reprise à rêver que je serais à l’heure. Au matin, j’ai décidé que je ferai 250 km aujourd’hui, 250 demain et 150 dimanche. Les chiffres sont bons, je serai à l’heure. Sauf que je me suis tapé 135 km de vent trois-quart de face et que le plan Delta toute seule, ce n’est quand même pas la même chose qu’avec 150 cyclistes… Je m’étais même dit que j’avais de quoi faire du bivouac sauvage et que je n’avais qu’à rouler, rouler, rouler et dormir quand j’en aurais besoin, comme ça j’étais sûr d’être à l’heure. Mon esprit avait dit oui. Mon corps avait vaguement dit oui. La météo me dit non. Alors je frustre. Je pleure en roulant. Je pensais être prête ! Réellement ! Mais en fait non. C’est autre chose que de rouler 240 km pour la plaisir. Il y a un enjeu là. Je pensais que cet enjeu me fournirait une motivation en plus. Ça été le cas, mais du coup, je suis aussi déçue, car je ne sais pas comment je vais faire les 560 derniers km en deux jours. J’ai bien constaté qu’après une bonne nuit de sommeil, cela va beaucoup mieux. Je suis très efficace le matin, nettement moins après 14h et ce n’est pas compatible avec l’exploit à réaliser. Je paye mon manque de rapidité et cela m’agace. Pourtant, je roule déjà plus vite qu’avant, mais ce n’est pas suffisant. Je sais avaler les kilomètres, mais je suis une tortue et là, c’est un problème. Alors je pleure. Heureusement, je ne croise personne. Je pleure et je me demande comment font les autres. Je voulais être comme Lael, j’en suis encore très loin. Maintenant que je suis dedans, j’ai encore plus de respect pour ceux qui font ça et je jalouse ceux qui ont déjà fini ou qui finiront dans les temps. Sentiment inutile, mais que voulez-vous ? Je craque, donc ce que je pense n’a pas de sens. Je réalise aussi que j’ai besoin de trop de sommeil. Il y  a donc deux facteurs qui font que je suis aussi loin du temps limite. Je vais devoir travailler sur ça, mais comment ?

Pour le mental, je m’attendais à avoir quelques soucis. Je suis contente d’avoir tenu une semaine,mais je dois me renforcer, je ne dois pas me laisser abattre. J’essaie de me concentrer sur la musique, mais rien n’y fait, je cogite, probablement de trop. Les 25 derniers kilomètres sont un calvaire et je manque de m’arrêter au premier hôtel que je vois. Mais je VEUX passer ce tournant aujourd’hui, il est annonciateur d’une nouvelle partie du pays. C’est comme pour Rotterdam hier, c’est psychologique. Je ne profite pas du trajet alors que c’est sublime. L’arrivée à Vlissigen est magique. Je me dis qu’il faudra revenir profiter de ça quand j’aurai un autre état d’esprit. Je voulais au départ m’arrêter à Vlissingen car c’était la promesse de plus d’hôtels (finalement j’en fais trois avant de trouver une chambre libre). Mais c’est aussi une dangereuse tentation. Je pourrais y prendre le ferry et puis passer par la gare de Knokke et puis prendre le train et rentrer à la maison. Ça pourrait être la maison ce soir ! Mais il y a une règle d’or en ultra cyclisme : «  On abandonne pas quand on est fatigué. On dort dessus et on décide l’esprit reposé. » Cela peut paraître bizarre, mais malgré que j’ai bien galéré aujourd’hui, j’ai envie de finir. Je ne sais juste pas en combien de temps. Je pense qu’en trois jours cela peut se faire, mais il y a encore du dénivelé qui arrive. Est-ce que je planifie ou je roule et je vois au jour le jour ? Encore des questions qui tournent dans ma tête alors que je m’écroule sur le lit après avoir mangé une pizza et demie.


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